11/27/2006

Iffrit 1/2

Voici ma toute première nouvelle. Elle marque également le début d'une longue série d'histoires portant sur le thème de l'imagination. Je vous la livre en deux parties.

Chers Monsieur et Madame Patterson,


Je ne savais pas bien comment commencer cette lettre... Mais je viens de me rendre compte en rédigeant l'entête que depuis toutes ces années, vous ne connaissez même pas mon nom. Je me demande alors comment vous deviez me nommer pendant tout ce temps... Le Problème ? L'Ennemi ? Peut-être simplement L'Ami d'Eric ? Je vais donc commencer par me présenter. Je m'appelle Iffrit. C'est Eric qui m'a nommé ainsi. Ne me demandez pas où il a trouvé ce nom, moi-même je ne le sais pas. Je fais partie de sa vie (de votre vie) depuis maintenant près de 16 ans.
16 ans, Je n’y avais jamais vraiment réfléchi, mais je pense qu’on peut dire que c’est mon âge. C’est étrange, peu de gens se souviennent de leur naissance, des premiers instants de leur vie. Je suis certain que personne n’est en mesure de dire quel est son premier souvenir. Moi si. Je me souviens précisément du jour de ma venue au monde et de la première chose que j’y ai vu. C’était Eric, vous vous en doutez.
Je lui suis apparu il y a donc 16 ans. Au début, je n'étais qu'une forme floue qu'il voyait au détour d'une rue, une ombre qui le suivait lorsqu'il était à l'arrière de votre voiture. Quand il entrait dans un bâtiment, dans un magasin, à l'école, dans votre maison, je restais à la porte, dehors. Et je l'attendais. En y repensant, je ne crois pas que je lui faisais peur. C'était plutôt moi qui étais effrayé. Eric avait 7 ans, et j'étais encore plus intimidé par lui qu'il ne l'était par moi.
Au bout de quelques mois j'ai tenté de l'approcher. Sans rien dire. J'étais juste là. Quand il regardait par la fenêtre de la salle de cours, je l'attendais sur la balançoire de l'école. Si l'envie lui prenait de sortir de chez lui pour jouer dans le jardin, j'étais dans la rue, en face, pour lui faire un signe de la main, espérant qu'il me le rendrait. Ça a duré plusieurs mois, mais on peut dire que c'est comme ça que nous nous sommes mutuellement apprivoisés.
Un jour de pluie (un des deux jours qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire), Eric rentrait de l'école en courant, son cartable au-dessus de sa tête dans un vain espoir de la tenir au sec. Je le suivais à distance, comme à mon habitude, en marchant lentement. La pluie ne m'a jamais posé de problème. Comme tout le reste d'ailleurs... Arrivé sur l'allée en pierre menant chez vous, je me suis arrêté. C'était ma limite, vous comprenez ? Lui a monté les marches et, arrivé sur le perron, n'a plus bougé pendant quelques secondes interminables. Puis il s'est retourné, m'a sourit et m'a parlé pour la première fois.
" Allez viens, m'a-t-il dit. Tu vas pas rester sous la pluie, comme ça. Rentre mais essuie-toi les pieds"
Et il est rentré en laissant la porte ouverte. Prenant mon courage à deux mains, je l'ai suivi. Il m'a présenté sa maison, sa chambre, sa vie. Je m'en souviens dans les moindres détails.
" Ça, c'est Logan, mon chat, fais attention, il est teigneux... Là c'est le salon, mais la télé marche pas, le réparateur a dit qu'il passerait hier, mais il a du oublier... Fais attention à cette marche-là, elle tient pas..."
Il m'a montré tous ses jouets, ses dessins, m'a fait visiter toutes les pièces. Non, pas toutes. Il n'a pas voulu me montrer la chambre du fond, vous vous en doutez. Non pas qu'il avait peur d'y entrer. Bien que vous lui ayez interdit, il savait très bien où vous cachiez la clef et profitait de vos absences répétées pour aller y jouer. Mais ce jour-là, je n'étais encore qu'un élément trop récent de sa vie pour mériter d'y pénétrer.
Il ne m'a pas parlé de vous. J'imagine qu'il voulait que vous et moi restions des éléments bien distincts. Qu'il n'y ait aucune interaction. Quand je repense à tout ce qui c'est passé par la suite, à ce qui c'est passé aujourd'hui, j'aurais souhaité que cela reste ainsi.
Depuis ce jour, nous ne nous sommes plus séparés, du moins pendant de longues années. Dès lors, je montais avec lui à l'arrière de votre voiture, je restais avec lui quand il était à l'école, et tous les soirs je l'aidais à faire ses devoirs avant de jouer avec lui. Mais surtout je l'écoutais parler. Je ne m'en lassais jamais. Si vous y aviez prêté attention, vous auriez été étonnés de l'étendu de son imagination. J'en suis la preuve vivante, si l'on peut dire... Mais je ne vous apprends rien.
La nuit, nous continuions à parler, et, quand il tombait de fatigue après m'avoir lu des passages de ses livres préférés, je le veillais pendant qu'il dormait. Je restais assis près de la fenêtre, à le contempler. Je n'ai pas besoin de sommeil, et je voulais être là quand il se réveillait après un cauchemar. Enfin, après LE cauchemar. Vous savez bien de quoi je parle. Bien que vous l'ayez appris des années plus tard et par la bouche d'un spécialiste, vous êtes parfaitement au courant que ce rêve hantait pratiquement toutes ses nuits. Il se réveillait en pleurs, et, les lendemains de ces songes maudits, ne parlait pas pendant plusieurs heures.
Je souffrais de le voir ainsi... Et un après-midi de plus où nous étions seuls dans la maison, agacé par toutes mes questions, il a fini par me prendre par la main et m'emmener devant la porte de la chambre du fond, celle ou depuis un an je n'avais pas le droit d'entrer. Il sortit la clef de sa poche (au début il la remettait dans votre cachette, mais il s'est vite rendu compte qu'avec tous vos efforts pour oublier cet objet, vous ne vous étiez même plus rendu compte de son absence), et ouvrit en grand.
" C'est la chambre de Franck, mon frère. Il jouait au foot. Ça c'est les trophées qu'il a gagné à l'école. Là c'est ses posters de films. Il aimait les films. "
Il m'a fait visiter toute la chambre. C'est peut-être une fausse impression, mais il m'a semblé que ça avait duré plus de temps encore que la visite de la maison entière. Puis nous sommes arrivés au fond de la chambre, près de la fenêtre, et il a tendu le doigt vers le plafond.
" Là, c'est la poutre ou je l'ai trouvé pendu, il y a deux ans. C'est moi qui l'ai décroché. Maman m'a grondé pour ça. Elle m'a dit que j'aurais dû l'appeler au travail de suite, mais je pouvais pas le laisser là-haut. "
Nous sommes restés longtemps à regarder cette poutre, sans rien dire. Puis nous nous sommes assis par terre, et il m’a parlé de Franck pendant presque une heure. De ses exploits en sport, de ses petites amies, des jeux qu’ils avaient ensemble. Nous avons été interrompu quand nous avions entendu la voiture d"un de vous deux (je ne me souviens plus lequel) et nous sommes retournés dans la chambre d'Eric. Et il a continué à me parler de lui. Si vous aviez vu son regard quand il prononçait son nom... Il semblait soulagé de le faire, de me raconter ces moments où son frère lui rapportait des bonbons en douce quand il était consigné dans sa chambre. Quand il lui promettait qu'il lui ferait faire des tours en scooter dès qu'il aurait suffisamment économisé pour se l'acheter...
J'ai compris beaucoup de choses ce jour-là. Beaucoup de choses sur Eric, mais aussi sur moi. Je compris pourquoi j'étais arrivé un peu moins d'un an après la disparition de Franck. Après tout, quoi de plus normal pour un enfant que d'avoir un héros, un modèle dans la vie. Et quand bien même ce héros disparaît, quoi de plus normal que d'en trouver un autre, quitte à ce qu'il soit imaginaire...
Eric a eu des nuits bien moins agitées depuis ce jour-là. Bien sûr il continuait à faire ce cauchemar, mais très peu souvent. Et parfois, me disait-il, le cours des évènements changeait dans son rêve. Mais cela le rendait encore plus triste au réveil.
J'ai ainsi accompagné Eric jusqu'au collège. Nous nous rendions souvent dans la chambre de Franck pour jouer, mais aussi pour étudier. Vous le savez aussi bien que moi (enfin peut-être pas, réflexion faite), mais Eric avait une attention et une mémoire assez limitées. Ce qui fait qu'il avait besoin de beaucoup travailler pour réussir. Ce que vous preniez à cette époque pour de la paresse n'était que le désespoir et le découragement de ne pas réussir à retenir ses leçons, de ne pas trouver la solution à un problème d'algèbre. Alors quand il se mettait vraiment en colère, quand il était prêt à tout casser ou à se gifler tellement il se trouvait stupide, j'essayais de l'apaiser, de focaliser son attention sur autre chose, jusqu'à ce qu'il retrouve son calme. Puis il se remettait au travail, tant bien que mal.
Parfois je me devais même de jouer les rabats joies, de lui rappeler les devoirs qui lui restaient à faire alors que lui voulait jouer pendant les vacances. C’étaient des moments très durs pour moi. Je voulais tout sauf devenir antipathique à ses yeux... Mais même si nous nous fâchions parfois (et j'avoue que c'était souvent à propos des études) nous finissions par nous réconcilier rapidement.
Le collège a été une période difficile pour lui. Il est vrai qu'il avait du mal à se faire des amis (ce qui, égoïstement, je dois l'avouer, ne me dérangeait pas) et il restait souvent à l'écart, avec moi. Pendant les moments de pause, nous étions constamment assis sur un banc, à nous moquer de tous ces imbéciles qui se donnaient de l'importance au milieu de la cour. Ou, plus rarement, il me parlait des filles qui lui plaisaient mais qu'il n'osait pas aborder...
Je suis en train de me relire et je me rends compte que je n'ai pas parlé de vous. Que ce soit bien clair, Eric et moi savions que vous aviez compris que j'étais là. Il ne le tenait pas secret (du moins les premières années) et nous continuions de parler même quand nous vous entendions coller votre oreille à la porte de sa chambre.
J'imagine que cela vous semblait normal. Peut-être même qu’un de vous deux, voire tous les deux, avait également un ami imaginaire étant enfant. Mais nous avons bien remarqué qu'autour de ses quinze ans, voyant qu'il continuait de s'isoler pour être avec moi, vous aviez commencé à vous inquiéter.
Nous l'avions bien remarqué, que vous restiez pendus à la fenêtre, certains d'être discrets, quand nous rentrions du bus le soir et que le voyiez converser et agiter ses bras vers moi, ou quand vous pénétriez sans frapper dans sa chambre pour nous surprendre dans nos discussions.
Je lui ai dit à ce moment-là que nous aurions dû nous faire plus discrets, mais il n'a pas voulu m'écouter. Il m'a dit (mais comment l'en blâmer ?) que cela finirait par vous passer, et que vous vous en désintéresseriez. Bien que j'avais un sérieux doute sur la question, nous étions vraiment loin, lui comme moi, de nous douter de ce que vous étiez sur le point de faire...

9 commentaires:

Anonyme a dit…

J'inaugure...
Et je te souhaite bonne chance..
Un autre défi...
C'est extrèmement touchant tout ça...c'est même boulversant.
Rien de plus...

Anonyme a dit…

Très jolie histoire, j'espère qu'elle aura un prix au festival de la création :) En tout cas bravo, magnifique vraiment, j'aime beaucoup ^^

ced a dit…

Merci bien ^^

Et la suite et fin de l'histoire arrive demain ou après-demain :)

Vinnie a dit…

Je l'adore celle là... mais tu le savais déjà.

Anonyme a dit…

déçu...

même pas une vanne de cul....


^^

Benito a dit…

oui, elle est belle cette "nouvelle" fraîche.

Go go go Ced. Le créatif est la clé de la célébrité.

ced a dit…

Ah ah, je sais, vous êtes quelques uns à la connaitre.
Mais mon but est de mettre mes nouvelels dans l'ordre dans lequel eslles ont été écrites.

Donc il y aura plein d'inédits (que même mes parents ou ma copine ne connaissent pas, c'est dire....).

Allez la suite et fin, de celle-ci arrive cet après-midi, qu'on aille vite un peu.

Anonyme a dit…

c'est l'apres midi là ? non?

ced a dit…

Et d'ailleurs ça y est, c'est en ligne.